Comprendre les origines du format sériel et la fabrique du son au cinéma. Créer une œuvre originale et s’approprier un petit bout du patrimoine cinématographique français. Tout un programme pour les participants à cet atelier d’éducation à l’image et aux sons.
A l'origine des séries, le cinéma muet!
La moquette, les grands rideaux rouges, les sièges de velours…soudain, les pas se font feutrés, les mots, chuchotés. La salle du “3 cinés Robespierre”, le cinéma municipal de Vitry-sur-Seine, fait son petit effet sur Jules, Marius, Aya, Taïna, Mehdi et Ibtissem. Pourtant, si une salle de cinéma invite toujours au silence, il ne sera pas de mise aujourd’hui. Les six lycéens vont ici remonter aux origines des séries !
Au programme, la projection privée de Fantômas réalisé par Louis Feuillade en 1913 et Tih-Minh (Le Philtre d’oubli), du même réalisateur, sorti six ans plus tard. Les deux œuvres sont les premiers opus muets de séries cinématographiques inspirées des feuilletons littéraires en 30 volets écrits par Pierre Souvestre et Marcel Allain.
C’est grâce à eux que plusieurs spectateurs découvrirent les joies du cinéma au début du 20e siècle. Les feuilletons cinématographiques étaient alors inspirés des feuilletons littéraires. Et la stratégie commerciale entendait maintenir le spectateur en haleine et le faire revenir sans cesse dans les salles. Aujourd’hui on « binge watch » (fait de regarder plusieurs épisodes d’une série à la suite de façon excessive) les séries depuis son canapé. Pourtant, les ficelles de l’écriture sérielle et du suspens sont natives des salles obscures et elles ne datent pas d’hier !
Très vite, dès la fin de la projection, les lycéens s’emparent de ces classiques par la parole sous l’oeil de Stéphanie Masson, scénariste. Les questions fusent, le débat est nourri : comment ce format sériel a-t-il pris naissance au cinéma ? De quelle manière ces feuilletons fidélisaient-ils les spectateurs ? Quelle était alors la valeur accordée au silence ? Quelle est sa place aujourd’hui ? Qu’est-ce que l’image muette évoque à des lycéens d’aujourd’hui? Les lycéens comprennent vite que les séries ont une histoire et qu’elle est issue d’un patrimoine. Et rapidement, leurs cœurs penchent pour la malice de Fantômas: Ils mettront en sons et en musique les aventures du personnage.
La magie discrète du bruitage
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Pour faire parler Fantômas, on découpe les scènes à bruiter. Et c’est avec Romain Baujard, cinéaste et musicien, que le groupe investit le parc tout proche pour s’essayer au bruitage. Micros en main, ils enregistrent chacun leur tour, le bruit de leurs pas dans l’herbe; réfléchissent au meilleur moyen d’évoquer le claquement d’un porte par le son. On saute, on tape. On écoute et on recommence.
Puis, on retourne dans la salle de cinéma pour tester ce qui a été fait. Immédiatement, le logiciel de montage est projeté sur grand écran, et on fait coïncider les actions avec les bruits tout juste créés. Magie de l’instantanéité, les lycéens éprouvent en direct leurs choix de réalisation sonore. Il manque un bruit ? Aucun souci, voilà l’estrade du cinéma investie: les jeunes y enregistrent le bruit de leurs pas, avant de les faire résonner sous les pas de Fantômas.
Musique et Cinéma
La musique est l’un des aspects essentiels de la réalisation au cinéma. Et pour permettre la création d’une bande son originale, la salle du cinéma municipal s’est mue en salle de spectacle. Sur l’estrade: un synthé, un piano à soufflet Indien, l’harmonium, et des percussions indiennes elles aussi, les tablas. Chaque lycéen se saisit d’un instrument. Les corps sont prêts, les esprits concentrés. Les regards se posent sur le film et le logiciel de montage projetés sur grand écran. Dans une minute, c’est sur cet écran qu’ils verront les ondes sonores prendre forme, juste sous leurs yeux. Le moment est à la concentration, à l’écoute. Un silence total se fait.
La salle devient un décor…cinématographique.
Romain donne le signal, lance Fantômas : musique ! Et la magie opère.
« Moi j’étais impressionné, très impressionné ! » rapporte Romain. Le groupe joue à l’unisson. Chacun à l’écoute des autres, chacun faisant de son mieux. « On est dans une écoute commune, les uns avec les autres. Si tu te rates, tu mets en péril le groupe, tu prends le risque qu’il faille tout recommencer. C’est vraiment du live ! » s’exclame Romain. Vient l’heure de l’écoute et du montage, fait de façon collective. La musique tout juste enregistrée est projetée sur les enceintes de la salle de cinéma dans des conditions d’écoute optimales. Là encore, on analyse, on critique, on ajuste...
La dernière séance
Quelques jours après l’atelier, famille et enseignants se pressent dans la salle pour la projection finale. On retrouve la solennité habituelle des salles de cinéma. Fantômas nouvelle version, augmentée de bruitages et de musiques commence. Les lycéens sont là, au premier rang, pour voir et écouter le fruit de leur travail. « On a fait attention à laisser sa place au silence. » précise Romain. Et dans la salle, l’alternance entre moments de bruitage, musique et silences favorise l’écoute active. Chacun tend l’oreille. Jules, Marius, Aya, Taïna , Mehdi et Ibtissem sont parvenus, en deux jours à peine, à revisiter une œuvre originale pour placer Fantômas sous leur regard.
L’atelier “Bande son pour images muettes”, réalisé au sein du cinéma 3 cinés Robespierre de Vitry sur Seine, a été mené par Elson et ses intervenants (Stéphanie Masson et Romain Baujard) dans le cadre du projet Nouvelle Saison, porté par l’association Passeurs d’Images.
Photos : Heloïse Aimé et Stéphanie Masson